Le but de ce travail de recherche est de voir de quelles façons la photographie s’est-elle érigée en art à part entière.

Plan

I) Définition du pictorialisme

     a) Quelle place dans l’Histoire ? (historique)
     b) Les sujets (photos, exemples)
     c) Un jeu de technique

II) Photographie et peinture

     a) Les visions américaine et française
     b) Photographie et peinture : des différences ? (étude de cas)

III) Réception

     a) Controverse : la photographie n’est pas un art ?
     b) Fin du pictorialisme ? (études de cas actuels)

I) Définition du pictorialisme

     a) Définition

Le pictorialisme est décrit comme étant un mouvement esthétique photographique qui naquit aux alentours de 1885-1890, c’est-à-dire au moment de la démocratisation de la photographie. C’est le premier mouvement artistique photographique.

Il suit l’ère victorienne avec les nombreux portraits de Julia Margaret Cameron. Ses portraits révèlent une mise en scène travaillée, artistique. En effet, le travail du clair obscur peut nous rappeler les œuvres de Georges de La Tour en peinture.

Ce mouvement, présent aux Etats-Unis et en Europe s’intéresse à la photographie non pas comme technique, mais comme art. Or, cela était sujet à de nombreuses contestations.

Le terme pictorialisme, vient de l’anglais picture, qui signifie « image ».  On parle aussi de pictorial art, qui fut traduit en français par pictorialisme.

Le but de ce mouvement était de faire monter la photographie au même rang que celui de la peinture, c’est-à-dire au niveau des beaux-arts.

Le but n’est pas de montrer une image à caractère documentaire, mais de jouer avec la technique afin de produire une image reprenant les canons de la peinture classique par exemple, en quelque sorte, prouver que la photographie a sa place au salon des beaux-arts.

Cependant, il ne s’agit pas d’imiter la peinture, mais de s’en inspirer afin de parvenir à la création d’un art à part entière, comme le souligne Emma de Lafforest dans l’ouvrage Constant Puyo qui retrace de la vie de ce photographie français pictorialiste :

« Pour Puyo, le photographe ne doit pas copier les arts graphiques, et encore moins la peinture, mais parvenir au même idéal que le peintre, le dessinateur : l’idée, l’émotion ou le sentiment manifestés grâce aux objets interprétés. »

Deux écoles du pictorialisme se créent : celle qui prône la modification, la retouche, et celle qui choisit de garder une image pure, naturelle, telle qu’elle est. Cette seconde approche veut se séparer de tous les autres arts afin que la photographie s’affirme en tant que nouvel art, et non comme un art qui reprendrait des codes déjà existants.

     b) Le contexte historique

Le mouvement pictorialiste arrive vers 1890 jusqu’en 1910 environ (en Belgique, il durera jusque dans les années 1940).

La photographie était alors « indigne » d’être catégorisée en tant qu’art à part entière, comme le fait souligner Baudelaire en la définissant comme la « très humble servante » de la peinture en 1859. En effet, utiliser du matériel photographique s’apparentait plus à la recherche documentaire, ou encore comme outil pour les peintres, qui alors, n’avaient plus besoin de se déplacer pour peindre un paysage par exemple. De plus, un peu plus tard, avec l’évolution de l’appareil photographique qui se fit de plus en plus petit, léger et abordable, la population (en majorité la bourgeoisie car l’appareil était coûteux, et la photographie était un hobby qui demandait du temps) a pu réaliser elle-même ses propres images. Mais en aucun cas, on ne pouvait la voir comme un moyen de créer une œuvre d’art. Le côté réalisme pur de la photographie empêchait toute patte artistique. De plus, il suffisait d’appuyer sur un bouton pour créer une image, comme le reprend le slogan de la marque Kodak « You press the button, we do the rest ». Pouvait-on appeler cela de l’art ?

Cependant, il convient de noter que la photographie, dès sa création plut beaucoup aux artistes, notamment aux peintres, pour son utilité.

Le peintre Ruskin s’en servait pour étudier les draperies pour lui-même, ainsi que pour ses élèves. Il ventait d’ailleurs les mérites d’une telle technique à la Société Héliographique (fondée en 1851, dont le but était de promouvoir la technique photographique).

Beaucoup de peintres furent également photographes, cette deuxième activité venant compléter la première. Nous pouvons citer par exemple Legray, Lesecq…

En 1862, la Chambre Syndicale de la Photographie fut créée afin de donner le statut d’art à cette technique. Pour les signataires, cela signifiait notamment le fait de pouvoir protéger légalement leurs œuvres par des droits d’auteur.

Dans ses statuts, elle indique notamment « d’encourager et de provoquer tout mouvement susceptible de rehausser le niveau artistique de la photographie par des expositions, des concours, des cours, des conférences, en attendant la création d’une École professionnelle. »
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_syndicale_de_la_photographie)

Parmi les membres de cette chambre syndicale, on peut y retrouver Paul Nadar, Jacques-Ernest Bulloz ou encore Pierre Puvis de Chavannes.

En 1890, elle prend le nom de Syndicat Général de la Photographie.

Beaucoup de photographes amenaient leur matériel dans les musées pour photographier les œuvres d’art, ce qui déplut dans un premier temps à l’administration (du Louvre notamment). En effet, le matériel étant très encombrant, cela pouvait engendrer des dégradations dans les salles.

Puis, une réglementation vint réguler ce phénomène : autorisation de photographier les œuvres d’art en journée et à certains horaires, utilisation du collodion sec uniquement…

Gaston Braun fut même le photographe officiel du Louvre et des musées nationaux.

Au début des années 1890, en Angleterre, fut créée la société photographique the Linked Ring dont le but était similaire à celui du Syndicat Général de la Photographie : défendre la photographie en tant qu’art.

     c) Un jeu de techniques

Le choix du modèle à photographier est bien-sûr très important. Mais il y a également tout un art de la technique. Le seul acte de photographier ne suffisait pas, au mouvement pictorialiste, à produire une image « artistique ».

Le pictorialisme est l’art des effets esthétiques. Le but, étant de troubler la frontière entre le réel (la photographie représentant une image objective de la réalité) et l’irréel, ou l’imaginaire (la peinture, qui même si, des fois, se veut aussi exacte que possible, n’atteindra jamais la perfection de la réalité).

On sait que c’est une photographie, cependant, l’aspect est flouté, et se rapproche énormément de la peinture.

Actuellement, on pourrait rapprocher cet aspect de « trouble des frontières » avec la photographe Valérie Belin qui fit une série de photographies appelée Les faux-semblants. Elle photographie des mannequins que l’on pourrait voir en vitrines de magasins et des personnes de manière à ce que le spectateur se questionne sur la réalité des deux.

En effet, les mannequins sont maquillés et habillés de façon très humaine alors que les personnes réelles ont des tons délavés et une peau cirée.

Le pictorialisme peut amener le spectateur à questionner la réalité ou non de la scène.

L’une des techniques qui était très en vogue, était l’utilisation du flou. La mise au point était volontairement imparfaite et donc créait un flou artistique sur l’ensemble de la photographie. Ainsi, ce phénomène écartait l’aspect trop réaliste que reprochaient certains peintres à la photographie. L’on s’éloigne également de l’aspect documentaire de la photographie. Ici, c’est bien l’esthétique qui est recherché, avec également une dimension symbolique des sujets, des formes, du flou…

L’intervention humaine est importante dans le mouvement pictorialiste, comme pour contrecarrer l’idée qu’il ne suffit pas « d’appuyer sur le bouton » mais, comme un peintre, il faut savoir prendre des outils et travailler la pellicule photographique. C’est cette intervention qui confère à cette image produite son caractère artistique.

C’était au moment du traitement de l’image dans la chambre noire que les photographes faisaient des manipulations sur la pellicule.

Différents filtres ont été utilisés notamment pour la couleur. Le noir et blanc était accentué pour avoir des zones surexposées et d’autres, au contraire, plus foncées. On peut rapprocher ce phénomène au clair-obscur en peinture : mettre l’accent sur certaines parties du tableau, par exemple un visage en plongeant délibérément d’autres dans l’obscurité. L’utilisation de la gomme bichromatée était aussi courante pour accentuer cet effet : cette technique permet d’obtenir des blancs très lumineux tout en conservant un maximum de détails. Plusieurs couches de cette solution chimique (avec une quantité différente de pigments à chaque fois) sont nécessaires afin d’obtenir des nuances de gris riches. (http://www.stages-photo-artisanale.com/?page_id=168) Cette technique permet aussi d’ajouter des couleurs où il n’y en avait pas, enlever des parties de l’image ou au contraire en faire ressortir d’autres. En effet il est possible d’ajouter des pigments de couleur afin de rendre, d’un négatif, un positif coloré. De plus, cette technique permettait d’avoir un flou très naturel.

Gratter sur la pellicule était aussi quelque chose d’usuel afin de donner un côté moins réaliste à la photographie. Parfois, elle la rend presque irréaliste : en effet, le sujet peut paraître net mais le décor, gratté en partie, donne un effet fictif à l’image. Ainsi, elle est bien une création en plusieurs étapes : la prise de vue, le développement et les modifications diverses que l’on peut apporter à la pellicule.

Henry Peach Robinson, peintre et photographe anglais, publia un ouvrage, Picturial Effect in Photography en 1869 qui est une sorte de guide pour photographes : comment choisir un sujet, comment prendre un portrait (le modèle, la pose, les proportions, les accessoires, l’arrière-plan…), ainsi que tout une partie sur le clair-obscur, ou chiaroscuro.

Les canons de la peinture sont repris et rapportés à la photographie. Ce livre, une référence, fut le premier à théoriser « l’art pictural ».

Par exemple, le photographe promeut l’utilisation de costumes, et aussi de peindre les fonds.

A l’époque, bon nombre de photographes avaient suivi une formation de peintre auparavant.

Ce qu’il faut mettre en avant, avec ces techniques de modification de la photographie, est l’interprétation que le photographe a de l’image qu’il a prise. Il n’obtient pas seulement une image juste en choisissant le bon angle et la bonne lumière, il la crée. Comme un peintre a sa vision subjective d’un paysage, le photographe pictorialiste apporte sa propre interprétation et l’offre au spectateur.

De plus, le photographe utilise les outils du peintre : pinceaux, pigments… la frontière entre les deux artistes se fait de plus en plus floue.

La technique du pictorialisme repose sur la recherche du dépouillement : le but est de, justement, ne pas s’apercevoir qu’une technique précise fut utilisée.

II) Photographie et peinture

Nous avons vu que la technique pictorialiste se rapprochait d’une certaine façon de la peinture. Qu’en est-il des sujets photographiés ? Nous allons voir, à travers les œuvres de deux photographes du mouvement les ressemblances, parfois frappantes avec la peinture.

     a) Les sujets (photos, exemples)

Les sujets sont choisis méticuleusement dans la photographie pictorialiste. Allant à contre courant de la photographie documentaire, les thèmes sélectionnés se rapprochent de ceux de la peinture. Pas de scènes de guerre donc, mais plutôt des paysages ou encore des nus.

Les sujets sont comme calqués sur le modèle de la peinture réaliste, mouvement de vogue dans les années 1850 : natures mortes, portraits, portraits de groupes, scènes de genre… Les peintres célèbres sont notamment Gustave Courbet, Henri Fantin-Latour, Edouard Manet, Jean-Baptiste Corot…

Mais également, nous verrons dans la partie suivante que le mouvement des impressionnistes a aussi largement influencé les pictorialistes : en effet, les différentes techniques, notamment celle du flou permettait un travail appuyé sur la pellicule photographique qui parfois éloignait toute ressemblance avec le réalisme. Le symbolisme, recherché par les pictorialistes, est très présent dans la peinture impressionniste.

Les poses des modèles sont travaillées afin procurer de l’émotion au spectateur : figures pensives, poses exagérées…

Le cadrage est aussi une étape essentielle dans les arts picturaux : que mettre en avant, où doit-on mettre l’accent ? Le contraste peut être une manière pour cadrer naturellement la photographie ou la peinture, comme nous pouvons le voir avec des œuvres du clair-obscur : notre œil est inconsciemment attiré par les parties claires.

La règle du tiers est un moyen de diviser proportionnellement la toile afin que celle-ci soit correctement équilibrée. Nous pouvons surtout le remarquer lorsque le thème choisi est un paysage.

Aussi, certaines peintures symboliques reprennent comme sujet principal des divinités, des photographies du pictorialisme reprennent ces codes, qui s’apparentent à de la poésie : paysages pittoresques, fleurs, poses nonchalantes… Le caractère très imagé d’une telle construction picturale amène le spectateur à la rêverie. Ceci est l’un des buts recherchés par le pictorialisme : faire naître de l’émotion.

On peut retrouver le même effet avec une scène plus « urbaine » : la photographie de ville par exemple : l’effet de flou adoucit la scène et vient casser le réalisme brutal de la photographie « pure ».

     b) Les visions américaine et française

Le pictorialisme, né en Angleterre, s’est vite propagé au reste de l’Europe mais aussi aux Etats-Unis. La vision de ce mouvement est-elle différente ? Nous allons, par le biais des travaux de deux photographes, Robert Demachy et Alfred Stielglitz voir les redondances, la technique utilisée, les sujets choisis, et pourquoi les différences de traitement de l’image.

Robert Demachy

Pour lui, la photographie ne doit pas rester strictement ce qu’elle est, elle ne doit pas s’arrêter à la seule représentation de ce qu’elle montre « objectivement ». Au contraire, elle doit être interprétée, tout comme une œuvre peinte. Il ajoutera notamment :

« une photographie doit-elle être produite uniquement par des moyens mécaniques ou peut-on admettre que l’on fasse appel, pour la modifier, au talent et à l’habileté de l’artiste ? »

Tout d’abord banquier, Robert Demachy se passionne pour la photographie, et grâce à sa situation financière aisée, il put s’adonner à cet art sans rencontrer de soucis matériels. Comme beaucoup d’artistes à l’époque, la sécurité financière était nécessaire pour la pratique approfondie d’une passion.

En partie fondateur du mouvement pictorialiste, il souhaite démontrer aux opposants de la photographie comme art à part entière, que cette nouvelle pratique n’est, non pas un art d’imitation comme l’on pouvait le penser, mais un art d’interprétation. Pour le prouver, il interviendra sur les pellicules de ses photographies en utilisant les techniques que nous avons vu en partie I.

Il se sert des défaillances techniques (flou si la pose n’est pas assez longue par exemple) pour en tirer un aspect esthétique.

struggle

Struggle, ou Lutte, est une oeuvre de Demachy datant de 1904 de 19,5 x 12,2 cm. Elle est exposée au Musée d’Orsay à Paris. Ce nu féminin représente une femme dans une position de défense, qui semble se retenir au mur face à elle.

Très peu de détails sont visibles sur cette photographie. Elle représente le coeur du mouvement pictorialisme : une modification (ici) à l’excès, passant par le grattage de la pellicule photographique.  Cet effet rend presque incompréhensible le tableau. Aucun détail n’apparaît excepté le corps de la femme, par exemple, la scène où elle se trouve est invisible pour le spectateur. Ou du moins, elle fut modifiée afin de donner un caractère dramatique à cette œuvre.

Cet effet de « brossage » fait penser à un large pinceau qui aurait balayé la photographie de part et d’autre. Il peut aussi symboliser le désarroi du modèle, ce qui expliquerait la pose consternée, abattue de la femme.

Le choix du papier est également important dans l’interprétation finale que l’on fera de l’œuvre. Ici, il est assez mat, légèrement foncé, ce qui lui donne un aspect vieilli, imaginaire. L’on pourrait pousser la réflexion en imaginant que cette photographie représente l’allégorie des luttes (d’où le titre) internes et psychologiques du modèle. Le cadre, est uniquement créé par l’effet de brossage.

Cette école du pictorialisme amène le spectateur à se demander si ce qu’il voit est réellement une photographie. Les effets sont tels qu’il devient difficile de distinguer une photographie d’une gravure, ou d’une peinture, surtout à une époque, où la retouche photographique naissait seulement.

speed

Speed, ou Vitesse, est une oeuvre de Robert Demachy de 12,5 x 18 cm prise en 1904 et est également exposée au musée d’Orsay. Elle représente une voiture avançant vers le spectateur sur une route. A gauche, l’on peut apercevoir des arbres, peut-être une foret ou juste une lisière.

Ce qui peut surprendre le spectateur à la première vision de cette photographie est le côté très épuré : en effet, il y a très peu de détails visibles. Alors que dans l’oeuvre Struggle les détails étaient masqués par un effet de brossage, ici, les détails sont dissimulés par un effet très fort de flou sur la totalité de la photographie.

Le sujet de cette oeuvre renverse un peu les codes académiques puisqu’il s’agit une voiture qui est prise comme modèle principal, donc, la pointe de la modernité.

La vitesse, titre de cette photographie est visible par le nuage de poussière qui se soulève derrière le passage de la voiture.

La construction de cette photographie est très géométrique : un unique point de fuite dans le milieu supérieur gauche de l’image. L’automobile apparaît très centrée.

Encore une fois, l’effet de flou très prononcé ici éloigne clairement la photographie retouchée de la photographie « de documentaire » que l’on aurait pu avoir avec ce même modèle : en effet, alors que l’automobile est triomphe de la modernité, Demachy a préféré mettre en exergue la vitesse, alors difficilement représentable avec les moyens photographiques de l’époque (une pause statique et longue était nécessaire pour obtenir un rendu très net).

Alfred Stieglitz

Alfred Stieglitz est américain mais a vécu en Allemagne où il a passé son diplôme d’ingénieur. Sa formation lui permet de faire des recherches techniques en matière de photographie : il prouvera par exemple que la lumière du jour n’est pas forcément nécessaire pour obtenir un négatif de bonne qualité : une ampoule qui éclaire assez suffit.

Il rejoindra le mouvement des pictorialistes en 1880 alors qu’il se trouve toujours en Europe. Cependant, contrairement à Robert Demachy, il s’intéressera davantage au côté naturaliste de la photographie tout en gardant le côté artistique. Il fera de la straight photography : une photographie pue, objective, sans retouche. Le but est d’amener la photographie à être indépendante de tous les autres arts.

Ses photographies ne sont pas autant retouchées que celles de Robert Demachy. Pourtant, elles restent construites : choix du sujet, pose, règles du cadrage, luminosité…

Durant sa vie, il a essayé de rapprocher photographie et peinture en éditant la revue Camera Work, où il publiait de nombreuses photographies de haute qualité ainsi que des dessins.

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The Terminal est une photogravure d’Alfred Stieglitz mesurant 12,1 x 16 cm de 1892, qui est aujourd’hui exposée au Musée d’Orsay. La scène représente une carriole à laquelle des chevaux sont attachés ainsi que plusieurs individus (dont un homme de dos au milieu de la photographie).

L’aspect esthétique qui est dégagé de cette image est la recherche naturaliste d’Alfred Stieglitz : la fumée émanant des chevaux, la neige, constituent une scène un peu « vaporeuse », une réalité adoucie.

Ici, comme dans toutes ses photographies, pas de modification sur pellicule. L’image est celle qu’il a vu, et essaie de montrer au spectateur son interprétation personnelle de la scène.

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Sunrays – Paula est une photographie datant de 1889, 22,7 x 16,9 cm. Elle représente la compagne d’Alfred Stieglitz, Paula, attablée en train d’écrire.

Cette photographie nous marque par sa luminosité : celle-ci joue un rôle important dans la construction de la scène. En effet, elle forme le cadrage : les rayons du soleil qui éclairent la pièce représentent la seule source lumineuse. Le clair-obscur est très fort : les zones d’ombre s’entremêlent aux zones de vive lumière. Les pieds de Paula ou de la table sont imperceptibles. Cela donne un effet fondu et rapproche la scène d’une rêverie.

La scène est intimiste, et semble très calme.

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Gossip – Katwyk que l’on peut traduire par Commérages, date de 1905 et mesure 12,6 x 20,4 cm. Elle représente deux femmes situées sur la droite de l’image, discutant, sur la plage. A gauche, on peut distinguer un bout de la coque d’un voilier et la mer en arrière plan.

Ce paysage est très sobre : le voilier est caché sur le bord gauche de l’image, et représente une sorte d’indice sur les activités des deux femmes : elles attendent peut être les marins qui en descendront.

La scène est très peu contrastée, ce qui apporte une sorte de grande accalmie.

Le thème de la mer et des bateaux est récurrent en peinture, que ce soit dans la peinture japonaise avec le célèbre peintre Hokusai, ou dans la peinture flamande.

     c) Photographie et peinture : des différences ? (étude de cas)

Les études d’après nu représentent un grand corpus d’oeuvres photographiques et peintes. La photographie était, à ses débuts, un excellent moyen comme nous l’avons vu précédemment pour les peintres d’avoir une image fidèle à la réalité comme support. Le modèle posant n’avait donc pas à garder sa position pendant des heures.

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Les Baigneuses de Courbet, 1853

Ainsi, comme Gustave Courbet à la peinture et Julien Vallou de Villeneuve à la photographie, leurs oeuvres se ressemblent : même thématique, une luminosité accentuée…

 

Nous pouvons aussi le voir avec ce portrait de Ingres, cliché pris par le photographe Pierre Lanith Petit, qui avait alors, en 1858 un studio où de nombreux personnages sont venus se faire photographier. Ingres a très largement repris cette photo pour peindre son propre autoportrait. Alors que ses prédécesseurs s’observaient dans le miroir, la photographie permet de faciliter l’approche de l’autoportrait.

Le pictorialisme, de par ses techniques utilisées, floute la frontière entre photographie et autres arts graphiques. En effet, comme nous l’avons vu avec l’oeuvre Struggle, il est très difficile de remarquer que c’est une photographie. En effet, cette oeuvre peut s’apparenter à une gravure.

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Cette photographie, intitulée Study in red, de Robert Demachy, reprend tous les codes du dessin : on a l’impression que cette oeuvre fut réalisée avec de la sanguine, qui donne cet effet rouge. Les bords sont floutés, on n’aperçoit pas le reste du corps de la jeune modèle, comme si c’était un dessin de profil uniquement.

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Cette oeuvre, aussi de Robert Demachy est dans la même lignée : études de nu, du corps, des proportions…  L’aspect manquant de netteté, notamment au niveau des extrémités et le grain du papier font tout de suite penser qu’il s’agit d’un croquis au crayon gras avec beaucoup de rehauts faits à la gomme, mais il n’en est rien.

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Behind the Scenes, ou Dans les coulisses, est une œuvre de Robert Demachy créée en 1904. Elle représente deux jeunes filles en tutu dans les coulisses de ce que l’on pourrait imaginer être une salle de danse.

Le thème, fut repris des peintures d’Edgar Degas, ici, avec La classe de danse.

La classe de danse.jpg

III) Réception

     a) La fin du pictorialisme

Les partisans du mouvement, quelle que soit leur école ont voulu démontrer que la photographie n’était pas simplement une technique.

Les différents clubs, comme le Linked Ring à Londres, Le Caméra Club à Paris, ou la Photo-Secession dirigée par Stieglitz aux Etats-Unis, voulaient faire reconnaître les talents artistiques d’une pratique de la photographie.

Quelle fut la réception de ce mouvement ?

Les critiques étaient nombreuses : par exemple, le critique d’art américain Charles Caffin, qualifiera l’oeuvre Crucifixion du photographe Fred Holland Day « d’entorse au bon goût, et la preuve d’une inqualifiable stupidité ».

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Certaines critiques reposent sur le fait que le pictorialisme cherche uniquement à imiter la peinture, mais qu’il n’y a aucune création artistique derrière cela. L’objet technique empêcherait toute frome d’art.

En effet, certains photographes tel que l’italien Guido Rey se sont en effet largement inspirés par la peinture, comme avec cette oeuvre intitulée La Lettre. On peut voir de nombreuses références aux travaux de Vermeer, notamment La Liseuse, ou La lettre d’amour.

Pourtant, même si le pictorialisme s’évanouit peu à peu au début du XXème siècle, il est sans doute la réponse le chef de file de mouvements artistiques qui le suivirent. En effet, à San Francisco apparaît  la continuité de la vision pictorialiste d’Alfred Stieglitz : le Groupe F/64 rassemble des passionnés de photographie, qui voulaient voir leur art totalement indépendant des autres. Plus de techniques de flou donc, la straight photography était privilégiée : aucune manipulation sur pellicule. Le but était, de donner une vision artistique à partir d’une photographie représentant objectivement le réel.

Pour ce faire, les photographes vont utiliser la contre plongée, les reflets de vitres ou de flaques d’eau. Ils ne veulent voir dans cette approche aucune corrélation avec la gravure ou la peinture.

Puis, avec les deux guerres mondiales, la photographie s’est totalement éloignée du mouvement pictorialiste. La vision surréaliste a pris le pas, notamment avec des mouvements tels que la Nouvelle Objectivité, Nouvelle Vision ou photographie expérimentale : Surréalisme et mouvement de l’école du Bauhaus. .

La Nouvelle Objectivité veut représenter purement le quotidien de l’entre deux-guerres, dans toute sa cruauté.

Les progrès en science ont rendu l’appareil photographique apte à permettre à ces photographes une précision parfaite, qui se veut pleine de détails.

Le pictorialisme, même s’il s’est évanoui au début du siècle dernier est cependant arrivé à son but : faire reconnaître la photographie comme un art, comme une création d’œuvres qui ne se limitent pas uniquement à un aspect documentaire exempté de recherche artistique.

     b) Néo pictorialisme

Est-ce bien la fin du pictorialisme ?

L’utilisation des canons de la peinture pour photographier a l’air d’avoir bel et bien disparue.

Cependant, le jeu des matériaux existe toujours : utilisation des pinceaux, brosses et autres outils pour effacer le côté lisse et parfait de la photographie. Ces artistes, des plasticiens, sont des artistes actuels puisque ce nouveau mouvement débute au début du XXIème siècle, soit un siècle après le pictorialisme.

Comme c’est un mouvement actuel, les différentes définitions du néo-pictorialismes sont nombreuses.

D’un côté, le néo-pictorialisme part de l’approche inverse du mouvement pictorialiste : au lieu d’utiliser la peinture pour créer une image photographique, le but est dorénavant d’utiliser la perfection de la photographie pour créer une peinture, un peu comme faisaient les peintres aux tout débuts de la photographie.

D’autres s’épancheront plus sur le côté artistique, plastique de la création. Par exemple, avec les œuvres de Pierre et Gilles.

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Stromae, Pierre et Gilles

D’un autre côté, c’est un retour aux sources du pictorialisme, façon Robert Demachy : le travail sur la pellicule, comme ce blogueur qui met en ligne ses propres photographies qu’il qualifie de néo-pictorialistes.

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Saule et Solitaire, par 2b-photographer

 

La photographe américaine Sally Mann a également travaillé sur le pictorialisme dans la série What Remains, qui traite de sujets ayant un rapport avec la mort. Les œuvres sont légèrement floutées, avec un effet vieilli, d’autant plus que Sally Mann ne photographie qu’en noir et blanc.

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Body Farm, Sally Mann

Conclusion

Le pictorialisme fut le premier mouvement artistique de la photographie. Avant-gardistes, certains photographes, qui, la plupart étaient avant tout peintres, ont passé plusieurs décennies à se battre pour faire reconnaître que la photographie comme art.

Il se divise en deux branches distinctes mais dont le but précédemment cité reste le même. La retouche, et la straight photograpy.

Des clubs se sont formés pour participer activement à la reconnaissance de la photographie et dans ce sens, c’est un succès ! En effet, même si le pictorialisme n’a duré qu’une trentaine d’année avant de s’effacer devant d’autres mouvements, ses auras sont restées : la force du symbolisme, la recherche d’émotions que ce soit dans la photographie pure ou retouchée. Des mouvements comme le surréalisme s’en sont bien largement inspirés.

Aujourd’hui, on ne compte plus les expositions de photographies artistiques. Car en effet, elle est devenue plus qu’un outil, c’est un médium communicationnel, bien impensable à la fin du XIXème siècle.

La question pourrait également se poser actuellement : quel est la place de l’art aujourd’hui, dans une photographie bouleversée par l’émergence des réseaux sociaux et des nouvelles formes communicationnelles ? De par son omni-présence, ne va-t-on pas vers une banalisation de l’image ?

Bibliographie